Philippe Somm est un paysagiste d’origine savoyarde. En donnant un nouveau souffle aux jardins de la Rosière, il rend hommage à sa terre natale.
A 2000 mètres d’altitude, les jardins de la Rosière se refont une beauté sous l’œil expert de Philippe Somm, paysagiste engagé pour le développement de la biodiversité depuis plus de 25 ans.
Nous rencontrons aujourd’hui un paysagiste conseil amoureux de la nature, un véritable passionné, qui se définit avant tout comme un jardinier. Habitué des travaux d’ampleur à travers le monde, il livre ici une réalisation entre respect des traditions, préservation de la biodiversité et amour de sa terre natale savoyarde !
Quelle est votre histoire avec le Club Med ?
«Cela fait 22 ans qu’on travaille avec Club Med, tout a commencé à Chamonix. Cela a été le début d’une longue série de 20 ou 22 Resorts, qui nous ont emmenés un peu partout à travers le monde. L’objectif principal était de transformer les jardins et la structure paysagère des Resorts pour qu’ils perdent un peu de leur aspect très conventionnel et très soigné, pas toujours en adéquation avec les magnifiques sites naturels dans lesquels sont implantés les villages. Le but était de redonner plus de place à la biodiversité, à la flore et à la microfaune locale. La Rosière est un exemple parfait de cet exercice : le lieu était fortement déprécié au niveau écologique (n.b. : Le Resort étant construit sur le site d’un ancien altiport désaffecté) et on a procédé à une véritable renaissance environnementale pour remettre la nature au cœur et autour du village. »
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
« Pour moi, un paysagiste c’est d’abord quelqu’un qui doit avoir les pieds bien ancrés sur le sol. Je trouve l’inspiration dans ce qui fait le fondement de la pratique : sur les chantiers, près des jardiniers, près des ouvriers. Puis, je m’interroge sur le lieu. Il se trouve que “Rosière” veut dire lieu où l’on trouve des roseaux, ou bien jeune fille vertueuse couronnée de roses lors de ses vingt ans. Je m’intéresse ensuite à l’histoire. Le col du petit Saint Bernard est une source d’inspiration, Hannibal aurait traversé les Alpes par là pour envahir l’Italie. Partant de là, on se dit que lors de cette traversée, toute son armada a sûrement transporté de nouvelles espèces végétales venues de contrées plus lointaines. On a donc décidé de développer fortement la flore locale sans s’interdire des touches florales plus méditerranéennes ou ibériques. »
Quel est le concept des jardins de La Rosière ?
« L’idée a été de développer les boisements existants en dessous du village sous forme d’une coulée verte vers l’amont jusqu’à l’entrée du Resort. Elle est illustrée par une vaste plantation d’arbres et d’arbustes, extension des hautes futaies de la forêt existante. Nous nous sommes attachés à une reconstitution de biotope thématique. Par exemple, autour du rond-point d’arrivée au village, on trouve un jardin polychrome qui va rappeler dans l’inconscient collectif les prairies d’alpage très fleuries.
En s’éloignant, on passe par plusieurs types de jardin : blanc, des textures, des senteurs, des aromatiques et des médicinales typiques des alpages ! Les jardins de la Rosière, qui rendent hommage au nom du Resort, sont représentés par de nombreuses graminées, des roseaux et différentes espèces de rosiers botaniques. Je ne vous dis pas tout, il y a encore beaucoup d’autres surprises à découvrir sur place ! »
De manière plus concrète, quels sont les différents espaces et végétaux utilisés dans ces jardins ?
« Au centre de la coulée verte, nous avons placé un sentier sinueux, dit de découverte. Sur l’ensemble du site, nous avons planté près de 180 grands arbres formés. On repart toujours des espèces existantes et locales : des épicéas classiques, différentes espèces d’érables, beaucoup de sorbiers qui fleurissent en début d’été. Également des arbustes et arbrisseaux, environ 300. On ajoute à cela plus de 2000 jeunes plants forestiers qui vont se développer tout en étant protégés par les plus grands. Finalement, on a planté 2500 à 3000 plantes vivaces, 2000 graminées, une centaine de rosiers anciens et environ 300 plantes aromatiques et médicinales. Nous concevons ainsi des îlots refuge de biodiversité que l’on va laisser pousser toute l’année et ne faucher qu’en octobre. Les grands végétaux protègent les plus jeunes et les plantes vivaces de sous frondaisons se développent à l’ombre de l’ensemble.
Ici, la nature reprend petit à petit ses droits. Si dans 10 ans, on ne discerne plus les parties qu’on a créé des parties alentour, alors nous aurons réussi ! »
Comment avez vous rassemblé respect du patrimoine local et enjeux de protection environnementale ?
« On a reconstitué un sol grâce à un mélange terreux entièrement local, avec l’aide de stations de compostage de déchets verts de la vallée et des fumiers issus d’exploitations proches du Resort. La reconstitution du sol est primordiale, c’est 80% de la réserve de biodiversité et 50% de la réussite d’un projet. On a réutilisé le terrassement très rocheux du Resort pour le mélanger à la terre et reconstituer un sol qui soit rocailleux comme aux alentours.
Nous n’avons pas mis d’arrosage intégré, simplement un arrosage de sauvegarde, aussi appelé réseau primaire. Nous sommes très vigilants sur l’économie d’eau. Nous avons également planté 70% à 80% d’espèces florales locales pour respecter les sols et en réduire l’entretien. Le local nous aide beaucoup dans notre démarche écologique : on s’adapte à la nature et c’est exactement comme cela qu’on aime travailler ! »
Justement, quelles sont les solutions pour l’entretien d’un tel jardin à 2000 mètres d’altitude ?
« Avant de commencer à concevoir, on commence par réfléchir à l’entretien. On pratique ici un entretien différencié. C’est-à-dire qu’on va travailler en cercle concentrique : plus on va être près des aménagements (village, piscine, hébergements…), plus le jardin sera soigné, la prairie tondue, avec de beaux massifs entretenus régulièrement. Plus on s’éloigne, moins la fréquence d’entretien est élevée car les plantations demandent moins de soins très réguliers. On arrive aux îlots refuge de biodiversité. Là, on passe une fois par mois pour voir s’il n’y a pas de plantes invasives. On peut les arracher, mais on en laisse également les espèces que l’on a longtemps qualifiées de « mauvaises herbes » et qui, pour la plupart sont souvent intéressantes. Cela constitue des espaces beaucoup plus naturels. Tout cela se retrouve dans un cahier des charges d’entretien et le jardin se développe en fonction des différents biotopes reconstitués. Cette démarche est expliquée aux GM, ils peuvent découvrir cette mosaïque de micro habitats via des panneaux reproduisant les plans des jardins. »
Les jardins et paysages émerveillent et éveillent les sens, quelles expériences promettent ceux de La Rosière aux promeneurs qui les arpentent ?
« Le visiteur peu sensible à la nature remarquera tout de même qu’il est dans un paysage relativement vert, et qu’il se sent bien ! Le GM attentif à la nature et attiré par les jardins va promener sa curiosité tout le long du sentier botanique et se servir des panneaux pour retrouver les différentes espèces. Un étiquetage est présent afin qu’elles soient toutes reconnaissables. Il est incité à découvrir par lui-même les espaces et à continuer ses recherches. On pense également à avoir un GO préposé à la visite des jardins qui pourra expliquer la démarche et le projet paysager. »
Pourquoi ce choix de plantes aromatiques et médicinales, y a-t-il une volonté de circuit court entre les jardins et le Resort ?
« La démarche n’a pas été de dire qu’on ferait un circuit court. Ce qui nous a guidés, c’est que dans toutes les prairies alpines on retrouve ces plantes ! Du thym, de l’angélique, de l’armoise, de l’arnica, de l’Yseult… On a donc tenté le coup et ça fonctionne bien. Les chefs sont contents de pouvoir couper quelques feuilles de menthe bien fraîches, de ciboulette ou de persil près du restaurant Gourmet pour leurs préparations ! »
Quelle vision esthétique et écologique va raconter votre travail aux générations futures ?
« Je veux que dans 25 ans on ait le sentiment que tout a toujours été là, que c’est une continuité de la forêt et des alpages. C’est un véritable morceau de nature reconstitué et on tente de recréer la biodiversité. Bien sûr, la sélection va se faire entre les espèces et les plantes : le jardin est un éternel recommencement.
Si un jour des marmottes s’y installent, alors c’est réussi ! »
Contemplation, esthétisme, plans, calculs… êtes-vous un mathématicien, un architecte ou un artiste ? Les trois ?
« Il faut être les 3 à la fois ! Pour ça, j’ai eu la chance de travailler avec mes deux frères. Nous avons tous apporté notre vision et notre touche sur nos différents travaux. L’un était plus sensible, avec une vision d’artiste. L’autre, au contraire, très technique et mathématique. De mon côté, je me considère plus comme un horticulteur ou un cultivateur, j’aime chercher le bon sol et la bonne variété. Nous nous considérons comme étant plus urbanistes du végétal et jardiniers qu’architectes ! »
Qu’est-ce que vous préférez de vos travaux à la Rosière ? Et quelle est votre plante ou fleur favorite ?
« Ce que j’aime avant tout, c’est me retrouver dans de la verdure. Le paysage évolue beaucoup et la découverte est différente à chaque visite ! Au niveau des plantes, j’aime énormément les graminées. Elles sont comme nous, elles se reposent tout l’hiver et explosent au printemps. Elles sont aussi très fines et légères et bougent à la moindre brise, ça amène du mouvement et c’est toujours très beau. Bref, s’émerveiller de la nature et de ce qu’elle arrive à faire toute seule ! »
Quelle est votre plus grande fierté autour de ce projet ?
« D’avoir réussi à travailler avec des pépinières savoyardes et des entreprises locales tout au long du projet, et d’être arrivé à travailler en circuit court, avec beaucoup de réutilisation de matériaux locaux. Et d’avoir été compris et soutenu par les équipes Club Med dans cette démarche ambitieuse de « renaturation » de ce site dégradé.
Maintenant, il faut que les gens trouvent ça beau et que ça plaise, l’avenir nous le dira ! »
Pour finir, en 3 mots, comment définiriez-vous votre création à la Rosière ?
« Ce sera un tout petit peu plus que trois mots : redonner une petite chance à la nature ! »
Pour en savoir plus sur l’envers du décor du Resort de La Rosière, n’hésitez pas à aller voir notre article sur les secrets de sa construction.